Accueil > Publications > La Maison Sublime, l’École rabbinique & le Royaume Juif de Rouen > Les autorités rabbiniques du XIIe siècle
Passées les persécutions liées à la première Croisade, le premier personnage rouennais connu portant le titre académique de maître (ou rab) est Rabbi Yossi (ou Rubigotsce), si célèbre qu’il restera connu comme Rabbi tout court. Réputé pour sa sagesse et sa richesse, il avait attiré l’attention du roi Henri 1er Beauclerc : son nom est mentionné pour la première fois dans des documents remontant aux années 1130-1131.
Sous sa direction, l’École de Rouen servit pendant quelques temps d’académie principale des deux communautés normande et anglaise, avant que son fils Abraham ne fonde, vers 1150, la scola judaeorum de Londres et que son petit-fils Yossi ne devienne en 1207 presbytre, c’est-à-dire grand rabbin de la communauté juive anglaise.
C’est peut-être du temps de Rubigotsce, sinon avant, que s’est tenu à Rouen un très important synode, réunissant toutes les communautés juives du nord de la France, pour régler le problème des maris absents.
A la fin du XIe siècle, Rouen était le plus important centre d’affaires et de négoce du nord-ouest de la France, bénéficiant notamment d’un monopole du commerce sur la Seine, jusqu’aux confins de la Normandie. Cela n’était pas sans soulever, aux yeux des autorités rabbiniques, un redoutable problème : celui des négociants juifs qui, partis pour de longs voyages dans des pays lointains, s’absentaient de leur foyer en laissant leur famille en situation précaire. C’est pourquoi le synode décréta qu’un mari ne pourrait faire des projets de partir que s’il est d’accord avec sa femme, ni quitter son foyer plus de dix-huit mois sans le consentement de sa femme ou l’autorisation du tribunal de la ville la plus proche. Pendant son absence, il devait subvenir aux besoins de sa famille et acquitter toutes les dettes qu’elle aurait contractées à cette fin. Au cas où quelqu’un transgresserait l’ordonnance, les hommes ne devraient pas lui accorder leur hospitalité, ni le loger. Cette ordonnance, initialement applicable aux seules communautés juives de Normandie, fut ultérieurement étendue à l’ensemble des juifs du royaume de France lors d’un synode convoqué à Paris dans les années 1160-1170.
Itinéraires de Samuel b. Meir (Rashbam) dans le Nord de la France et en Normandie, vers 1130
Auteur de commentaires très réputés de la Bible et du Talmud, le savant exégète Samuel ben (= fils de) Méïr, connu sous le nom de Rashbam, a succédé à Rubigotsce à la tête de l’école de Rouen. Petit-fils du célèbre Rachi de Troyes (1040-1105), il avait conseillé les communautés juives du nord de la France - prêchant à Paris, à Londres, à Caen, à St Lô - avant de s’installer à Rouen vers 1135 et de diriger l’école rabbinique jusqu’au début des années 1150. Il eut des discussions suivies avec des savants chrétiens sur des points litigieux d’exégèse biblique. L’importance qu’il accordait à une exégèse directe et non allégorique des Écritures avait valu à Rashbam une renommée considérable, avant même ses tournées à travers les provinces du nord de la France.
Succédant à Rashbam à la tête de l’école de Rouen, l’éminent Pereç Bar Menahem représenta les communautés normandes au synode convoqué à Paris vers 1155-1160 par Rabbénou Tam, un des frères de Rashbam, pour traiter du problème des délateurs. L’ordonnance adoptée par le synode fut approuvée par de nombreux sages de la France septentrionale et même de Lombardie, mais seuls les dignitaires de Rouen et de Paris y furent qualifiés de nos maîtres.