Accueil > Publications > La Maison Sublime, l’École rabbinique & le Royaume Juif de Rouen > Les mésaventures de Reuben bar Isaac (vers 1032)
La décision du pape arrêta pendant quelques décennies les persécutions contre les juifs de Normandie. Cela n’empêcha toutefois pas que de mauvais traitements leur soient infligés, comme celui dont fut victime, vers 1032, un riche propriétaire juif de Rouen, Reuben bar Isaac.
Son histoire nous est connue par deux lettres manuscrites -l’une écrite par un scribe juif d’Arles, l’autre par un haut dignitaire de l’académie de Palestine- entreposées pendant des siècles dans l’antique synagogue palestinienne de Fostat (l’ancien Caire) en Égypte. La première est aujourd’hui conservée à la British Library de Londres, la seconde à la Bibliothèque universitaire de Cambridge.
Reuben bar Isaac était l’un des membres importants de sa communauté et était fortuné. Veuf probablement, il habitait Rouen avec son fils unique. Propriétaire de biens fonciers qu’il possédait par héritage, il envoya un jour son fils travailler dans les champs avec ses serviteurs. Dans la forêt, ils furent attaqués et tués. Un tel crime relevait, à double titre, de la juridiction ducale : à la fois parce qu’il s’agissait d’un meurtre et parce qu’il avait été commis dans une forêt ducale, où la loi des forêts assurait une protection particulière à quiconque traversait une forêt royale. Reuben bar Isaac alla donc porter sa plainte auprès du duc Robert le Magnifique (dit aussi le Diable), mais celui-ci refusa de l’écouter car les meurtriers étaient des gentils et il lui confisqua immédiatement tous ses biens, en lui disant tu es vieux et point n’a de fils ; à moi (donc) toutes ces richesses. En quoi le duc commettait une double injustice : en s’abstenant de poursuivre les coupables, au seul motif que le plaignant était juif et demandait que des non juifs soient châtiés ; en contrevenant aux lois féodales normandes, qui n’autorisaient de confiscation de propriété qu’en cas d’acte déloyal ou criminel de la part du vassal. Les biens féodaux concédés par le seigneur pouvaient certes être repris lorsqu’il n’y avait pas d’héritier mâle, mais seulement à la mort du propriétaire.
Chassé de Rouen, Reuben bar Isaac décida d’aller jusqu’au pays d’Israël pour mourir à Jérusalem. En chemin, il se fit remettre par la communauté juive d’Arles, qui jouissait alors d’un grand prestige intellectuel et religieux, une lettre de recommandation pour toutes les saintes communautés de l’autre côté de la mer. Mais, quittant Damas, il fut attaqué par des brigands qui le dépouillèrent et le blessèrent. Arrivé à Jérusalem en grande détresse, il décida finalement de retourner chez lui, en revenant par l’Égypte. C’est sans doute à Fostat qu’il est mort en 1034-1035, sans achever son voyage de retour.