Accueil > Publications > La Maison Sublime, l’École rabbinique & le Royaume Juif de Rouen > Les disciples des maîtres : les érudits rouennais du règne d’Henri II (...)

Le royaume Juif de Rouen

Les disciples des maîtres : les érudits rouennais du règne d'Henri II Plantagenêt (1150-1189)

Lors de son arrivée à Rouen, Ibn Ezra avait, selon la coutume des poètes andalous, composé un poème à la gloire de son hôte Rashbam, le maître de l’académie rabbinique, dont le commentaire de la Torah est le salut de tous ceux pour qui l’écriture sainte est obscure et dont le regard contemple les secrets du Seigneur. Mais, passé l’enthousiasme de la première rencontre, un fossé s’est rapidement creusé entre ces deux personnalités aux cultures et aux conceptions religieuses radicalement différentes. Les critiques formulées par Ibn Ezra à l’encontre de la méthode exégétique de Rashbam, fondée sur le sens premier, immédiat, des Écritures, ne pouvaient qu’indisposer ce dernier.

Voyages d’Abraham Ibn Ezra à travers l’Europe et l’Afrique du nord, vers 1140-1165

La publication en 1149 de l’épitre sur le Sabbat, où Ibn Ezra prenait la défense du calendrier juif traditionnel contre Rashbam, accusé de vouloir inverser l’ordre de comptabilisation des nuits et des jours durant la Création, allait opérer une rupture définitive entre les deux érudits.

Avec la présence de deux figures aussi remarquables que Rashbam et Ibn Ezra, Rouen, qui était le principal centre d’études juives de l’empire Plantagenêt, attirait de nombreux érudits, venus de tout le nord de la France, qui voulaient se consacrer à l’exégèse de la Bible. Après le départ de ces deux grands savants, vers 1160, Rouen n’en resta pas moins un centre attractif.

Autour d’Ibn Ezra, gravitaient des disciples qui étaient parfois aussi des mécènes, comme Moïse Ben Méïr ou Joseph de Morville, qui recueillaient, de la propre bouche d’Ibn Ezra, ses commentaires oraux pour les joindre aux manuscrits dont ils assuraient la diffusion.

Parmi les grandes figures d’érudits rouennais, on trouve encore Joseph Bekhor Shor, élève de Tam et rabbin à Orléans, défenseur acharné de la foi juive contre ceux de ses coreligionnaires qui voulaient se convertir au christianisme, polémiquant avec des chrétiens sur des points délicats de la Bible. Il vint s’installer à Rouen entre 1170 et 1182, sans doute pour fuir des persécutions fréquentes en Île-de-France.

Maître Benjamin, élève de Tam et de Rashbam, auteur de poésies liturgiques, interprète de la Bible, a perpétué l’enseignement de Rashbam après son retour en Champagne vers 1160.

Eliezer de Beaugency, en contact personnel avec Rashbam et Ibn Ezra, est l’auteur de nombreux commentaires bibliques où l’on perçoit l’influence de ses deux maîtres.

Citons encore Berakhiah le Ponctuiste, qui appartenait, comme son oncle Maître Benjamin et comme son fils Elie le Scribe, à la famille des Natronaï. Défenseur des interprétations d’Ibn Ezra et d’Eliezer de Beaugency, il est l’auteur de nombreux et savants commentaires bibliques, en particulier celui sur le Livre de Job (le seul de ses écrits qui ait subsisté), qui sera largement étudié par les générations suivantes. Il est aussi le prolifique auteur de proverbes (ainsi que d’une version en hébreu des Fables des renards, inspirée d’Ésope) écrits pour partie en poésie et pour partie dans une élégante prose hébraïque rimée d’une légèreté pétillante et destinés à un large public. Il poursuit aussi l’œuvre scientifique d’Ibn Ezra par un traité sur les joyaux et les métaux, ou encore étudie les liens entre la foi et la morale, allant puiser des leçons de sagesse en Orient comme en Occident, chez les chrétiens, les juifs ou les musulmans comme chez les païens.