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Le royaume Juif de Rouen

La construction de l'école rabbinique (vers 1100)

L’abbatiale Saint-Georges de Boscherville, fondée en 1114, donne une idée de l’architecture majestueuse de l’école rabbinique de Rouen, construite quelques années plus tôt par le même atelier.

Soucieux d’assurer l’indépendance des juifs d’Occident à l’égard des centres de Bagdad et de Jérusalem qui faisaient autorité en Orient, les dirigeants carolingiens avaient encouragé la création d’instituts d’enseignement supérieur juifs.

Les premiers établissements avaient souvent appartenu à des maîtres privés, ce qui ne garantissaient pas le niveau des études. C’est pourquoi un important synode s’est tenu, vraisemblablement à Rouen, au Xe ou XIe siècle sinon avant, afin de définir les règles qui devaient s’appliquer dans ces écoles rabbiniques (yeshiboth).

Connues comme les Anciennes Règles pour l’Étude de la Torah, les douze ordonnances adoptées par le synode visaient à :

 obliger chaque famille à consacrer un de ses enfants à l’étude approfondie de la Torah (règle 1) ;

 construire à proximité de la synagogue une école, appelée grand midrash16, pour ces étudiants (règle 2) ;

 établir la discipline (très proche de celle en vigueur dans les écoles monastiques chrétiennes) applicable à ces académies et fixer la durée des études. Les étudiants (peroushim = séparés de la communauté) ne devaient pas quitter l’école pendant sept ans (s’ajoutant aux sept que durait l’école élémentaire), devaient y prendre leurs repas et y dormir, ne pas exprimer de vaines paroles et pratiquer le célibat (règle 3) ;

 assurer le financement de ces écoles supérieures, au moyen d’une taxe que chaque famille juive devait acquitter pour payer le salaire des maîtres, acheter les livres et subvenir au fonctionnement de l’école (règle 4) ;

 définir les méthodes pédagogiques applicables dans ces écoles mais aussi dans les écoles élémentaires (règles 5 à 12). En particulier, les enseignants ne devaient pas recevoir plus de dix enfants par classe ; ils devaient appuyer leurs leçons sur des textes écrits et écarter tout enseignement par cœur, traduire en français les textes écrits en araméen -langue du Talmud parlée en Babylonie-, procéder à des révisions chaque quinzaine et chaque semestre.

Par la suite, des précisions ou des compléments, voire des modifications importantes, ont été apportées à ces Anciennes Règles. C’est ainsi que l’obligation de créer une école supérieure fut imposée dans toutes les villes principales de chaque royaume, avec obligation pour les communautés juives d’en supporter la charge.

Mur nord de l’école

C’est à l’été 1976 qu’a été découvert sous la cour du palais de justice de Rouen un édifice monumental, exemple remarquable d’architecture romane dont la qualité et l’élégance, écrit Norman Golb, rendaient soudainement palpable le caractère de la communauté juive rouennaise. Construit dans la première décennie du XIIe siècle, sans doute à la suite des destructions provoquées par la première Croisade, cet édifice rectangulaire en pierres hachées de Caumont, que Norman Golb a aussitôt identifié comme une école rabbinique de nature communautaire et non privée, était de vastes proportions (9,50 m de large sur 14,10 m de long), orné sur trois côtés de contreforts flanqués de colonnes dont les bases décorées étaient toutes différentes : l’une représente un dragon, une autre un double lion renversé dont les pattes étendues semblent soutenir la colonne.


L’archéologue Maylis Baylé a relevé de nombreuses analogies dans la décoration de l’abbaye Saint-Georges de Boscherville et de l’école rabbinique de Rouen.
Seul le rez-de-chaussée du bâtiment a été entièrement conservé, les étages supérieurs ayant été arasés lors de la construction du palais de justice commencée en 1499. La salle du bas, dallée et éclairée par quatre fenêtres percées dans le mur nord, servait de bibliothèque et contenait, enfermés dans des armoires placées contre les murs, quelque 200 à 300 manuscrits que les étudiants empruntaient pour lire aux étages supérieurs.

Reconstruction théorique de l’école rabbinique de Rouen.
Croquis du professeur Golb.

Ils y accédaient par un escalier en spirale logé dans une tourelle en demi-cercle. Le premier étage, où l’on a retrouvé des vestiges de banquettes fixées dans les murs, formait probablement la salle d’étude principale, tandis qu’au second étage se trouvaient les pièces réservées aux maîtres, travaillant seuls ou avec de petits groupes d’étudiants. La douzaine de graffitis en hébreu retrouvés sur les murs évoquent des noms de personnes (Josué, Amram, Isaac…), expriment l’espérance que la Torah de Dieu […] existe [à jamais] ou rappellent une citation du livre des Rois en forme de supplique : Que cette maison soit sublime. Sans doute, faut-il voir là l’expression spontanée d’étudiants cherchant à manifester leur amour des études et l’orgueil de fréquenter cette élégante école ou, plus simplement, voulant laisser à la postérité une trace de leur passage dans cette école prestigieuse.

L’École de Rouen ou Scola Rothomagi -expression qui apparaît pour la première fois dans un texte latin de 1203 pour désigner la yeshiba de Rouen- était conçue pour accueillir un nombre important d’étudiants -50 à 60- venant non seulement de Rouen, mais des autres villes normandes. Des académies de ce type ont existé dans d’autres villes importantes comme Paris, Reims, Narbonne ou Marseille, mais, en France comme ailleurs, les traces matérielles en ont partout disparu, sauf à Rouen.