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Le royaume Juif de Rouen

A la requête de Jacob bar Jequthiel, le pape interrompt la persécution de 1007

Longtemps, la cohabitation des juifs et des chrétiens s’était plutôt bien passée. La religion juive était reconnue et protégée par le pouvoir. Les juifs disposaient de droits économiques étendus, y compris celui de posséder des terres, même par héritage. Les rois carolingiens avaient placé un haut dignitaire juif à la tête de chacune des grandes unités du royaume : un roi des juifs (rex judaeorum) à Narbonne pour la Septimanie et à Rouen pour la Neustrie ; un maître des juifs (magister judaeorum) à Mayence pour l’Austrasie. Ce roi ou maître des juifs dirigeait les affaires des communautés placées sous sa juridiction et les représentait dans leurs relations avec le roi et ses vassaux. Après la conquête des Vikings, reconnus par le roi de France comme ses vassaux par le traité de Saint-Clair-sur-Epte conclu en 911, les premiers ducs de Normandie s’appuyèrent, eux aussi, sur les juifs pour assurer le développement de leur nouveau territoire.

La persécution de 1007 est relatée par une chronique hébraïque du XIIe siècle conservée à la Bibliothèque Palatine de Parme. Consultés en secret par le roi, les nobles du royaume adressèrent à Robert le Pieux ce message : Un certain peuple est rassemblé dans tous les pays, et il ne nous obéit pas, ses statuts et ses lois sont différents de ceux de toutes les nations. Laissez-nous maintenant mettre fin à leur existence, afin que le nom d’Israël disparaisse à jamais des mémoires, car ils deviennent une menace pour nous.

Suivant leurs conseils, le roi convoqua des responsables juifs pour leur enjoindre de se convertir : Retournez à notre loi parce qu’elle est plus juste que la vôtre, dit-il. Si vous refusez, je vous massacrerai par l’épée. Refusant l’ordre de trahir la Torah de Moïse et de changer la religion du Seigneur, les juifs furent massacrés et leurs biens saisis. D’autres s’immolèrent plutôt que d’accepter le baptême. Le duc Richard II de Normandie participa activement à cette persécution, ayant le même besoin que le roi Robert d’asseoir son autorité. N’avait-il pas inauguré son accession au pouvoir en 996 par la répression d’une révolte paysanne ?

Jacob bar Jequthiel de la ville de Rodom se rend à Rome en 1007 et obtient du pape qu’il arrête la persécution engagée par le roi Robert le Pieux contre les juifs de France.

Lorsqu’un certain Senior, l’un des saints hommes du pays, une personne très sage et très compréhensive, fut à son tour massacré, un certain homme de la ville de Rodom, du nom de Jacob bar (= fils de) Jequthiel, s’adressa aux meurtriers, pour leur dire qu’ils n’avaient aucune autorité sur le peuple d’Israël pour l’obliger à changer de religion, ou pour lui causer quelque [mal] que ce soit, à moins que ceci n’ait été prononcé par le pape de Rome. Et il se proposa d’aller solliciter l’avis du pape.

Sur quoi, le duc Richard s’empara de l’homme qui avait parlé pour le peuple d’Israël et le mit en prison avec sa femme et ses enfants. Il s’apprêtait à lui trancher la tête, quand il se blessa avec le fil de son épée et ce mauvais présage arrêta son bras. Il s’exclama : (Maintenant) je sais que nous vous avons fait du mal pour rien, mais puisque la persécution a déjà commencé, je ne peux pas l’annuler, sauf sur ordre du chef des non juifs. Il accepta donc l’arbitrage du pape que lui proposait Jacob bar Jequthiel et le laissa partir à Rome avec sa famille, gardant seulement un de ses quatre fils en otage afin que vous ne vous moquiez pas de moi.

Itinéraire de Jacob bar Jequthiel

Jacob partit avec sa femme Hannah, ses trois autres fils, Jequthiel, Isaac et Joseph, ses quatre domestiques et ses douze chevaux. Arrivé à Rome, le pape accepta de le recevoir en audience privée, et, bien qu’il refusât de s’agenouiller ou de se prosterner, il écouta sa requête : Ainsi je suis venu pour vous exprimer ma tristesse […] à cause des juifs qui résident dans votre domaine, car des hommes mauvais se sont élevés contre eux sans votre permission et ont massacré beaucoup d’entre eux, et converti d’autres par force. Maintenant, si cela semble bon à vos yeux, écrivez afin d’arrêter leurs mauvais agissements, et envoyez-leur votre sceau, votre émissaire et votre proclamation personnelle, afin qu’aucun non juif ne puisse massacrer un Israélite pour quelque sujet que ce soit, ou lui faire du mal ou lui saisir ses revenus ou le forcer à quitter sa religion.

Le pape se donna quinze jours de réflexion avant de lui donner réponse par l’intermédiaire de juifs qui me servent. Entre temps, il confia Jacob à trois dignitaires juifs de la cité, en leur demandant de le traiter avec beaucoup d’honneur. Le délai écoulé, le pape fit savoir à Jacob et aux trois dignitaires qu’il acceptait tout ce qu’ils avaient demandé. Il envoya un émissaire chargé de mettre un terme aux persécutions. Jacob resta à Rome quatre ans, à attendre que l’envoyé apostolique revienne des communautés, qu’il visita toutes sans exception. Quand Jacob prit congé du pape, celui-ci lui dit : Si vous avez jamais besoin de quelque chose dans votre pays, envoyez-moi votre messager ; mais ne vous faites plus de soucis, car je ferai tout ce que vous désirez.

Qui était ce Jacob dont parle la chronique ? Un homme d’une grande richesse incontestablement, capable d’offrir au pape une somme très importante (deux cent livres) pour appuyer sa requête, de financer seul le voyage de quatre ans que dura la mission -donnant à l’envoyé du pape sept marcs d’or et deux cents couronnes d’argent pour ses dépenses et douze chevaux pour son chariot- et de subvenir pendant toute cette période à ses propres besoins et à ceux de sa famille. Un homme d’une grande influence aussi, dont l’autorité s’étendait bien au-delà des communautés juives de Normandie, comme en atteste la lettre avec son sceau qu’il confia à l’envoyé du pape, destinée à toutes les communautés juives afin que celles-ci l’honorent. Un homme enfin qui pouvait se permettre de dire au pape : Je resterai avec vous jusqu’à ce que votre envoyé revienne sain et sauf.

Dix ans après son retour de Rome, alors qu’il vivait avec sa famille en Lorraine, son aura ne s’était pas dissipée, comme le prouve l’invitation personnelle que lui adressa le comte de Flandres Baudouin IV à venir s’installer, avec trente de ses amis, dans son pays, où il le reçut avec beaucoup d’honneur.

Norman Golb conclut de cette période que Jacob bar Jéquthiel était de toute évidence le porte-parole ou le représentant des juifs du duché de Normandie, un des quatre dignitaires qui dirigeaient alors les quatre royaumes (Francie, Lorraine, Bourgogne et Normandie) d’où sort la Torah vers tout le peuple d’Israël.