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Synagogue ?
L’orientation du bâtiment, la qualité du décor des murs extérieurs et les graffiti faisant allusion au temple de Jérusalem ont incité Bernhard Blumenkranz et Gérard Nahon, historiens français spécialistes de l’histoire des juifs, à penser qu’il s’agissait d’une synagogue. Mais le mur oriental n’a pas d’absidiole ; or c’est là que l’on rangeait traditionnellement les rouleaux de la Torah dans les synagogues médiévales.
Hôtel particulier ?
Pour le médiéviste Michel de Boüard, suivi par les archéologues, le monument « présente tous les caractères architecturaux d’un hall à étages (first floor hall) ». Il aurait donc été le manoir d’un riche marchand, bien que les vestiges conservés ne possèdent ni cheminée, ni puits, ni latrines.
Ecole rabbinique ?
Le chercheur américain Norman Golb, qui a montré que des savants juifs renommés ont séjourné à Rouen aux XIIe et XIIIe siècles, soutenait de son côté que le monument abritait une école rabbinique, une yeshibah.
Il se fondait notamment sur une notice publiée en 1893 dans laquelle Charles de Beaurepaire, grand archiviste départemental, affirmait avoir vu un document du XVe siècle mentionnant « une maison qui aurait servi d’école aux juifs » dans la rue aux Juifs « en se dirigeant vers la rue du Bec ».
Norman Golb pensait que les livres étaient conservés au sous-sol du monument dans des armoires en bois rangées contre les murs aveugles et que les étudiants travaillaient dans la salle du rez-de-chaussée surélevé qui était probablement mieux éclairée. Mais le texte dont parle Charles de Beaurepaire est insuffisamment précis pour permettre de localiser une école dans l’actuelle cour du Palais de justice.
De plus, deux historiens rouennais contemporains, Lucien-René Delsalle et Philippe Cailleux, ont relevé pour la seconde moitié du XIVe siècle plusieurs textes mentionnant une « école aux juifs » ; or ces documents se rapportent à des endroits différents.
Enfin, une simple observation des lieux montre que le sous-sol humide et sombre du monument était totalement inadapté à la conservation de manuscrits. On ne peut toutefois pas exclure l’hypothèse que les niveaux supérieurs du bâtiment aient été utilisés pour l’enseignement. Constatant le caractère religieux de plusieurs graffitis, Michel de Boüard a d’ailleurs admis que la thèse de la yeshibah était « tout à fait plausible ».
Salle communautaire ?
Plus récemment, Judith Olszowy-Schlanger, professeur à l’Ecole pratique des hautes études de Paris et à l’université d’Oxford, a proposé une autre hypothèse ; il s’agirait peut-être d’un bâtiment communautaire pouvant servir de tribunal rabbinique, de lieu de réunion ou de réception pour les mariages. Mais, estime-t-elle :
« Il y a des arguments pour étayer chacune des hypothèses… En vérité, aucun ne permet de trancher. » Et elle ajoute : « Ce qui compte, c’est que nous avons là un remarquable témoignage matériel, aussi rare qu’ancien, de la culture juive urbaine médiévale. »