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Description

La situation et le plan de l’édifice

Plan de l’édifice dressé par Mme Dominique Bertin, responsable de la fouille

Le monument est situé à environ seize mètres au nord de la rue aux Juifs dont il était vraisemblablement séparé par une cour ou un petit jardin.
En descendant dans la crypte archéologique, on se trouve au niveau du sol du Moyen Age, à 2,77 m sous le niveau de la cour du Palais de justice.

Du monument, il ne subsiste plus qu’une salle basse aux trois quarts enterrée et quelques assises de pierres des murs du rez-de-chaussée qui était surélevé. Les murs sont très épais : de 1,60 m à la base à 1,30 m dans la partie supérieure. On peut ainsi supposer que le bâtiment s’élevait au moins sur trois niveaux : un sous-sol, un rez-de-chaussée et un étage.
A l’inverse des autres édifices médiévaux du quartier dont nous parlerons ultérieurement, il a été construit sur un axe est-ouest. De plan rectangulaire, il mesure extérieurement 14,14 m sur 9,46 m.
La pierre utilisée pour la construction est le calcaire de la vallée de la Seine.

L’extérieur du bâtiment

Les façades ouest et sud.

Le mur oriental ne présente aucun décor en dehors du bandeau chanfreiné qui règne à la base du mur. Ce bandeau qui se prolonge sur les autres murs permettait sans doute d’écarter les eaux pluviales de la base des maçonneries. On doit tout particulièrement admirer la qualité de l’appareil des murs et la minceur des joints. La taille des pierres a été réalisée avec un taillant droit, un outil utilisé à l’époque romane qui laisse des stries diagonales régulières ; ce détail permet de penser que le monument a été élevé à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle. Ce mur n’a pas d’ouvertures mais les archéologues ont pu observer à son sommet et au milieu la base d’une fenêtre qui devait éclairer le rez-de-chaussée surélevé.

Les autres murs sont rythmés de contreforts plats flanqués de colonnettes dont les bases sont décorées de motifs surtout géométriques, caractéristiques des années 1100. On retrouve des contreforts du même type sur les murs extérieurs de l’église Saint-Georges de Boscherville qui a été édifiée au début du XIIe siècle.

La façade nord et ses quatre ouvertures.

Quatre fenêtres en plein cintre s’ouvrent entre les contreforts du mur nord. Ces fenêtres ébrasées extérieurement et intérieurement étaient les seules à donner un peu d’air et de lumière au sous-sol.
Dans l’angle nord-ouest, une tourelle d’escalier cylindrique permettait de faire communiquer les différents niveaux du monument ; l’escalier très étroit, 58 cm, était probablement réservé au service.

Les pierres du mur ouest portent les traces d’un incendie ; elles sont en effet rubéfiées et elles ont éclaté sous l’effet de la chaleur. Les archéologues ont d’ailleurs découvert au pied de ce mur une épaisse couche de terre noire dans laquelle ils ont trouvé des traces de charbon de bois. Or les Annales de Rouen nous apprennent qu’un incendie parti de la rue aux Juifs a ravagé la ville en 1116. Les caractéristiques du bâtiment permettant d’affirmer qu’il a été édifié vers 1100, il est donc possible qu’il ait été endommagé par cet incendie peu de temps après sa construction.

Base de colonne de la façade sud. Base au lion double renversé.

Le mur sud devait constituer la façade principale du bâtiment car il donnait sur la cour ou le jardin bordant la rue aux Juifs. C’est sans doute pour cette raison qu’on trouve, de part et d’autre de la porte du sous-sol qui est au centre du mur, les plus belles bases du monument. La première représente deux lionceaux à tête unique couchés sur le dos, les pattes en l’air, la seconde un dragon à deux têtes dont l’une crache du feu. Il s’agit peut-être d’une évocation du psaume 91 : « Sur le lion et la vipère tu marcheras, tu fouleras le lionceau et le dragon. » Ces bases remarquables sont les seules qui soient décorées de motifs animaliers.

On a du mal à découvrir l’ordonnance du mur sud car il est encombré d’adjonctions postérieures. La première est une structure semi-circulaire qui supportait probablement un escalier extérieur donnant accès au rez-de-chaussée surélevé ; on ne connaît pas la date de ces travaux. La seconde adjonction concerne l’escalier du sous-sol. À l’origine, un escalier perpendiculaire au bâtiment donnait accès à la porte du sous-sol.

Vestibule du monument juif

Cette porte en plein cintre était ornée de voussures et de colonnettes surmontées de chapiteaux ; elle est aujourd’hui très mutilée. L’escalier d’origine a été remplacé par l’escalier actuel, parallèle et adossé au mur sud, qui débouche sur un vestibule voûté d’arêtes. Cette modification a été réalisée avant 1306, date du départ de la communauté juive. Après cette date, l’escalier avait perdu toute utilité. Les chrétiens qui ont occupé ce bâtiment après l’expulsion des juifs ont en effet remblayé le sous-sol et installé sur le remblai un dallage en calcaire. Les archéologues ont retrouvé une partie de ce dallage et ils ont pu dater sa mise en place avec précision grâce à la découverte au-dessus du dallage d’une monnaie de 1307, et au-dessous du dallage d’une monnaie de 1305 ; les travaux de comblement du sous-sol ont donc été réalisés en 1306.


La salle basse du monument

Les murs sud et est de la salle basse et l’entrée principale du monument.

Le sol de la salle basse est situé à environ deux mètres au-dessous du niveau du sol du Moyen Age. Cette salle mesure 9,98 m sur 6,26 m. Elle est dépourvue de tout décor et il n’y a aucune trace d’enduit sur les murs. La pièce n’était pas voûtée mais couverte d’un plancher supporté par quatorze poutres qui s’encastraient dans les murs nord et sud ; les trous laissés par ces poutres sont bien visibles à environ 2,75 m du sol.

La salle était faiblement éclairée et aérée par les quatre fenêtres du mur nord. L’arc extérieur de ces fenêtres correspondant à l’encrage des poutres du plafond, il a fallu, à l’intérieur de la salle, réduire leur hauteur et les transformer ainsi en soupiraux. L’appui de ces baies ne forme pas un glacis mais il est constitué de petites marches, disposition très fréquente à l’époque romane.

Le sol est en terre battue. Les traces d’un foyer ont été mises au jour à l’ouest de la pièce.
Sur le mur oriental, à 0,65 m de hauteur, une rangée de neuf petits trous circulaires devaient recevoir des chevilles en fer supportant une étagère en bois.

Godets de verre (qui devraient reposer sur un support métallique - lampes à huile) accompagnés de fils de bronze destinés à soutenir les mèches dans l’huile.
Collection Service régional d’archéologie de Haute-Normandie

Au pied de ces trous, les archéologues ont mis au jour une trentaine de petits godets en verre qui sont devenus brun-noir sous l’action du feu ; ce sont des lampes à huile qui avaient probablement été posées sur l’étagère. Sur le même mur, deux trous plus gros, espacés de 1,80 m, ont peut-être servi à fixer un coffre.

Dans l’angle nord-ouest, une porte en plein cintre, large de 0,60 m, donne sur l’escalier à vis qui faisait communiquer les différents niveaux du bâtiment ; il ne subsiste que les neuf premières marches de cet escalier.


Les graffitis

On remarque sur les murs quelques marques de tailleurs de pierre (triangles ou lignes croisées) et quelques graffitis latins (LM, AM et M).

Mais l’intérêt de la salle basse se concentre avant tout sur les seize graffiti en hébreu qui sont gravés dans la tourelle d’angle, sur le mur nord et surtout sur le mur sud. Plusieurs d’entre eux reprennent des noms de personnes : Yehosafyah Kohen, Josué, Amram, Jacob fils de Rabbi Raphaël et Isaac. Le graffito le plus célèbre fait allusion au temple de Jérusalem : « Et cette maison sera sublime [c’est-à-dire d’une grande hauteur] jusqu’à ce que le Rocher [Dieu] prenne en pitié Sion ». Plusieurs autres graffiti reprennent en partie ce texte qui évoque un passage du Premier Livre des Rois (IX, 8).